Rogny les Sept Ecluses (Yonne)
L'escalier d'eau 1597 - 1887
Les Seigneurs du Canal

De longues années vont s'écouler jusqu'à ce que trois hommes
prennent connaissance des travaux de Cosnier, les frères François et
Guillaume Boutheroüe, descendants d'une vieille famille orléanaise, et
s'associent à un bourgeois d'Orléans, Jacques Guyon, pour réunir des
capitaux et reprendre les travaux à leur compte. Ils ne sont ni ingénieurs
ni hydrographes, juste simples commis des finances. Les deux premiers
occupent le poste de receveurs des aides et des tailles et payeurs des
rentes dans les élections de Beaugency et Montargis. Le troisième n'est
qu'un simple marchand. Rien ne les prédestinait donc à s'intéresser à la
construction du canal mais ils ont su en juger la valeur et l'utilité.
Ils se mettent en campagne dès 1635, étudient les plans et se rendent
compte que l'achèvement du canal ne présente plus de difficultés
techniques. Ce n'est plus qu'une question de temps et d'argent.
Par lettres patentes du Roi Louis XIII, en date de septembre 1638 et
enregistrées au Parlement de Paris le 15 avril 1639, ils sont autorisés à
terminer à leurs frais et dépens ce qui reste à achever, creuser, réparer
le canal, construire les écluses nécessaires à la navigation, et à
percevoir un droit de péage sur toutes les marchandises qui passeraient
sur le canal à raison de cinq sols par bateau. Ce droit de péage se
combine avec un droit exclusif donné aux propriétaires pour faire passer
les bateaux leur appartenant en percevant un prix de transport fixé par un
barème annexé.
Avec d'autres gentilshommes et bourgeois, ils forment une société qui
prend le nom de « Compagnie des Seigneurs du Canal de Loyre en Seine ».
Quatre années après la délivrance des lettres patentes, les travaux sont
terminés.
En août 1642, le roi accorde une gratification de 100 livres au premier
bateau qui passerait de Loire en Seine par le canal de Briare. Le canal
ayant été achevé et le premier bateau étant officiellement passé de Loire
en Seine, en septembre 1642, la Compagnie peut alors espérer profiter du
résultat de ses efforts. Le canal est enfin complètement et régulièrement
ouvert à la circulation.
Le premier passager illustre à l'emprunter est Armand Jean du Plessis,
cardinal-duc de Richelieu et duc de Fronsac, pair de France et ministre de
Louis XIII, alors gravement malade depuis le siège de Perpignan. Il a
embarqué à Roanne dans un « coche d'eau », damassé de rouge en son
honneur, pour venir mourir à Paris.
Les bateaux sont alors tirés à l'épaule par des mariniers sanglés à de
longues cordes de 80 mètres, dites « verdons » et attachées par leur
milieu à la proue du bateau. À chacune des extrémités sont nouées de
larges sangles appelées « lacs » que les hommes se passent en travers de
la poitrine.
À vide, deux hommes réalisent des trajets de 35 km par jour.
Chaque bateau ne doit pas avoir moins de deux haleurs que payent les
bateliers les plus riches, mais souvent c'est le couple et les enfants qui
se chargent de la tâche.
On dit que Richelieu, ému de voir ce dur travail souvent exécuté par un
couple et ses enfants, décida que les rives des canaux devraient être
plantés d'arbres pour protéger ces gens du soleil.
Les bateaux ne passent pas les écluses au hasard et ont un ordre d'arrivée
selon la nature de la cargaison transportée. Poissons, fruits, vins,
huile, savon, graines et papier sont prioritaires sur le fer, le charbon,
les ardoises, le bois et les ocres.
Ces bateaux portent un nom selon leur catégorie : « flûtes » pour le
transport du vin, « cabanes » bateaux couverts pour les marchandises
périssables, « bascules » pour le poisson vivant, « chalands » pour les
marchandises lourdes, « sentines », barques légères et rapides, « sapines
» ne faisant qu'un voyage car une fois le fret livré, les bateaux étaient
vendus au « déchireur » qui les démontait et vendait les traverses et les
planches pour le bois de chauffage, et enfin « coches » pour les
voyageurs.
Le coche part de Briare chaque semaine et met environ quatre jours pour
atteindre Paris. Un coureur le précède afin d'annoncer son arrivée aux
éclusiers car le coche a la priorité absolue. À son approche, les bateaux
doivent se garer et lui céder la place en abaissant leurs cordes de
halage.
En dehors des voyageurs, le coche ne peut transporter que
les paquets d'un poids inférieur à 50 livres.
Un règlement strict est aussi instauré pour les hommes. Entre autres, il
est expressément défendu aux maîtres mariniers ou à leurs compagnons de
faire un présent, que ce soit en argent ou en marchandises, aux commis et
gardes du canal, et à ceux-ci d'en accepter et recevoir sous peine de
fouet.
Annie-France GAUJARD
Rogny-les-Sept-Ecluses (Yonne)
La Gazette 89 Editions
Juillet 2011
(Extrait des pages 14 à 16 - Chapitre "Les Seigneurs du Canal" , publié
avec l'autorisation de l'auteur)
(Photo haut de page : Les écluses de Rogny - Annie-France
GAUJARD)
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