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Les arracheurs
de dents
Foire de Toucy - Années 1870
Pour les paysans de la région, la journée de foire, se déroulait
tout d'abord en libations pour les achats quotidiens puis ensuite
auprès des bonimenteurs. Les paysannes surtout, s'arrêtaient devant
les tréteaux des marchands forains, palpaient les étoffes aux
couleurs vives, lorgnaient les faux bijoux, les parures qui les
attiraient comme des alouettes. On ne manquait pas non plus les
vendeurs de complaintes en vogues, qui nasillaient les exploits d'un
quelconque berger, au son d'une vielle ou d'un accordéon. Le
vielleux enchaînait sans arrêt ses ritournelles, et les talons des
sabots scandaient vigoureusement la mesure, au milieu d'une
poussière intense. Dans les années 1880 on voyait ainsi
régulièrement dans les foires de Toucy un dénommé Benoît Lacam qui
vendait pour un sou une feuille de mauvais papier sur laquelle
étaient imprimées des chansons. Les badauds s'attroupaient
apprenaient sur place et reprenaient en coeur la chanson, qui serait
ensuite diffusée dans une quelconque veillée ou au cours d'une noce.
Les journaux étant fort rares à l'époque on apprenait aussi de cette
manière, les nouvelles sensationnelles venues d'ailleurs. On se
faisait aussi tirer la bonne aventure, pour deux sous dans la
roulotte, où la voyante extra-lucide annonçait toujours le bonheur
en amour et parfois la fortune. On applaudissait aux exploits de
l'écuyer Nicolas Flach, on essayait, pour gagner trois sous, de
mettre le lutteur Jacques Bolle à terre ou on riait de bon coeur aux
pirouettes et facéties de l'acrobate Louis Recher.
L'arracheur de dents était aussi par là, sur une estrade. Les
archives municipales de Toucy ont ainsi noté dans les années 1870,
la présence des dénommés Charles Bréard et Damien Edellard,
dentistes, accompagnés de quatre musiciens, Jean Bochler, Nicolas
Werner, Philippe Christoffel et Jean Lung. La technique du dentiste
était alors fort simple. Il était monté sur une estrade de fortune,
à laquelle on accédait par une échelle et sur laquelle étaient
installées des chaises pour les musiciens, puis une autre pour le
patient. L'orchestre, généralement un tambour et une grosse caisse,
un cornet à piston et un trombone, jouait de toutes ses forces,
pour, d'abord attirer le chaland. Lorsqu'un patient se présentait,
compère du dentiste ou client sérieux, la tête comme oeuf de pâques,
c'est-à-dire entourée d'un mouchoir aux deux cornes pliées sur le
haut du crâne, on l'invitait avec forces discours à prendre place
sur la chaise qui lui était réservée. Et la musique reprenait de
plus belle. Le « chirurgien » ouvrait alors la bouche du patient,
lui introduisait sa pince et, si c'était un compère, en un tourne
main extirpait une grosse molaire qu'il brandissait triomphalement
pendant que son client se réjouissait de cette formidable opération
sans douleur. Ce dernier, tout fier, acquiesçait, et deux nigauds
pour un le remplaçaient sur l'estrade. Et en avant la musique car si
c'était un vrai malade, la préparation était la même, mais
l'opération était bien sûr plus douloureuse et c'est alors que tout
le bruit fait par l'orchestre n'était pas trop fort pour couvrir les
cris du malheureux.
Malgré tout, l'arracheur de dents à la voix tonitruante, le marchand
d'élixir à la faconde intarissable ou la diseuse de bonne aventure,
le montreur d'ours ou l'acrobate faisaient partie de ces familles de
forains au demeurant tous sympathiques et qu'on accueillait dans les
bourgs comme de vieilles connaissances. Ils étaient simples et sans
façons. Dans la campagne poyaudine on savait d'ailleurs très bien
faire la différence avec d'autres exploiteurs de la crédulité
humaine. Certains paysans observateurs et madrés, qui voulaient
gagner leur vie sans beaucoup travailler, se faisant comme par
enchantement guérisseurs et, avec un peu d'astuce, ils se créaient
vite une clientèle.
Jean-Claude TSAVDARIS
Ces gens de Puisaye. Volume 5
Les saisons paysannes
Edité en 2002
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