![]()
ICAONNA Le patrimoine touristique et culturel de l'Yonne
TOURISME
CULTUREL DANS L'YONNE
www.yonne-89.net
|
La vieille salle de classe
Il y a quelques dizaines d'années l'odeur de la classe.
Souvenez-vous... Elle varie selon les saisons, les heures de la
journée, mais celle de l'encre violette domine, et aussi quelquefois
celle du parquet lavé, des arbres de la cour, au printemps, lorsque
la fenêtre est ouverte. L'estrade et le tableau noir sont les deux
attributs rituels de la dignité magistrale. Le poêle, souvent un
Godin, entouré de sa grille, réchauffe le cœur, avec sa provision de
bois ou de charbon bien en vue. Son tuyau a un parcours très
fantaisiste dans ce grand espace qui va jusqu'au plafond : aussi
est-il maintenu par des fils de fer. Il faudra attendre
l'installation du chauffage central pour que l'image du cancre et
celle du radiateur s'associent : pour l'instant, le fond de la
classe est froid. Le pupitre à deux, trois, voir cinq places, usé,
culotté, gravé, témoin de l'ennui de longs après-midi d'hiver et de
l'angoisse des jours de compositions, est prolongé par un banc. Il a
été fabriqué par le menuisier du village. La table est inclinée pour
faciliter l'écriture, que l'on se force de porter à son point ultime
de perfection : la calligraphie. En dessous du pupitre se trouve la
sombre case où l'on range rapidement manuels et cahiers, mais très
soigneusement tout au fond, les objets de tous les petits délits...
Le long des murs ou à l'extérieur dans le couloir, se trouvent les
porte-manteaux, où l'on accroche les cache-nez, les bonnets et les
grandes pèlerines gorgées d'eau. On y pend aussi le sac qui contient
le déjeuner ou le goûter des enfants qui viennent de loin et ne
rentrent chez eux que le soir. S'ils sont nombreux, un coin repas
est aménagé dans la classe : table, chaises et toile cirée à
carreaux, avec une vaisselle succincte. La bibliothèque de la classe
est un meuble de rigueur, plus ou moins bien rempli, selon la
richesse de la commune, et le goût des généreux donateurs. Or y
trouve des romans édifiants, des récits de voyages ou d'aventures.
Une petite armoire à porte vitrée, suspendue au mur contient un
système métrique qui permet de matérialiser des notions complexes
pour les enfants et qui, après tout, ne date même pas d'un siècle.
Le maître l'enseigne d'autant plus volontiers que c'est une grande
conquête de la Révolution. Une autre armoire, fermée à clef,
renferme les objets personnels du maître: les fournitures les plus
luxueuses, comme les crayons de couleur, la grande bouteille d'encre
violette qui sert à remplir les encriers de faïence des pupitres,
l'encre rouge, apanage de l'autorité qui biffe, s'exclame, raye,
souligne...
Dans un coin de la classe, se trouve toujours un balai. Ce sont les
enfants, chacun leur tour, qui sont chargés de s'en servir. Mais
tout l'esprit, toute la beauté graphique de la salle de classe se
trouve dans les hauteurs, en compagnie du rêve et de l'idéal : les
tableaux pédagogiques. D'abord l'évasion avec les cartes
Vidal-Lablache, qui, à la fin du siècle, commencent à être exactes
et complètes. Les vedettes sont celles de la France : les jeunes
départements avec leur ribambelle de chefs-lieux qui sonnent comme
des comptines, les montagnes jaunes et brunes avec leurs noms
courbes comme des volutes baroques, les rassurantes plaines vertes
où coulent tout naturellement les fleuves et leurs affluents. Du
côté des sciences, c'est le royaume de l'image. Les tableaux muraux
représentent de superbes anatomies. Quand il est question de corps
humain, l'hygiène n'est jamais loin, et l'alcool a, lui aussi, son
tableau avec des scènes de misère très expressionnistes. A côté de
ces messages austères, en noir et blanc, évoquant des sanctions
effrayantes pour les mauvais citoyens qui ne se lavent pas et
boivent trop, le regard de l'écolier, se repose aussi sur des scènes
bucoliques de la vie à la campagne. Les arbres, les fleurs, les
fruits et les légumes avaient eux aussi, leurs magnifiques planches
de botanique. Quant à l'histoire, elle se prêtait parfaitement bien
à l'imagerie, car son rôle était avant tout l'édification. Ainsi
étaient peints dans de vastes tableaux les grands hommes et les
hauts faits : scènes exemplaires de grandeur et de sacrifice, où
Vercingétorix et Clovis étaient les vedettes incontestées, grandes
batailles gagnées ou perdues, mais toujours héroïques, douleur du
peuple écrasé par les rois et les seigneurs. Le célèbre manuel de
Lavisse était utilement relayé par ces tableaux, qui avaient le
mérite de structurer la chronologie. La notion des temps anciens
s'apprenait à l'école en lisant l'heure sur la pendule à chiffres
romains encadrée de noir. Les manuels scolaires dont l'achat était
assuré par les communes n'arrivèrent en grand nombre qu'à la fin du
siècle. Ils étaient distribués aux élèves, qui les emportaient dans
leur gibecière avec plumier, crayons, porte-plume et cahiers. Ces
derniers, ainsi que les buvards, étaient parfois attrayants:
quelquefois, une publicité les agrémentait de magnifiques images
hautes en couleur. On y trouvait des devinettes : « Cherchez Petit
Poucet et ses frères », qui se cachent dans un coin du dessin. Plus
tard, les cahiers se chargèrent de tables de multiplication à
apprendre bien sûr par cœur.
Près de la porte de la classe sont encore affichés deux panneaux
soigneusement calligraphiés : la répartition mensuelle du programme
et l'emploi du temps. Pour une classe de fin d'étude, ce programme
couvre la morale, le français, le calcul, l'histoire, géographie,
les sciences appliquées et les travaux manuels. Mais avant tout, il
faut apprendre à lire et à écrire. Des panneaux, des abécédaires
couvrent les murs. Les enfants apprennent à reconnaître les
consonnes, les voyelles, les syllabes et enfin les mots.
L'apprentissage de l'écriture était fondamental et c'était un
véritable défi à la beauté calligraphique. Cela n'allait pas, bien
entendu, sans drames, sans plumes qui accrochent, sans taches, bref,
cela laissait à beaucoup d'élèves un souvenir cuisant. Une belle
écriture engage le corps tout entier, comme en témoigne cette
inscription du début du siècle :
«Leçon d'écriture.
«tenue du corps.
« Les jambes placées verticalement. Le corps droit sans raideur ne
touchant pas la table. Tête un peu inclinée en avant. Bras gauche
assez avancé sur la table, le coude bien en dehors de la table.
Cahier un peu incliné vers la gauche".
Au tableau à lignes, sur lequel le maître inscrit les modèles,
correspond le cahier d'écriture, le plus beau de tous. L'ardoise
reçoit les esquisses et les essais, que l'on efface. Et comme dans
cette pédagogie tout est fondé sur la répétition, les lignes se
suivent et se ressemblent, engendrant des automatismes qui font le
bon élève et le bon citoyen. Le calcul est lui aussi l'objet de
réitérations sans fin et d'exercices de mémoire. Ceux qui ont vécu
cela se souviennent douloureusement des robinets remplissant
bêtement des baignoires qui fuient, des pourcentages à additionner,
des trains qui se croisent et dont il faut trouver la vitesse, des
redoutables fractions...
Bref, l'élève qui obtenait son certificat d'études était armé pour
les calculs de la vie courante, que nous faisons aujourd'hui avec
nos petites calculettes électroniques.
Jean-Claude TSAVDARIS
Autrefois l'école en Puisaye
Edité en 2004
D'autres témoignages sur l'Yonne :