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ICAONNA Le patrimoine touristique et culturel de l'Yonne
TOURISME
CULTUREL DANS L'YONNE
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Notre nouveau territoire
Je prends Joseph par la main et l'aide à descendre les marches.
Dehors les oiseaux chantaient toujours. Les tas de bois n'avaient
pas bougé, mais un mot tournait sans cesse dans ma tête «rapoulie ».
Qu'est-ce que cela voulait dire et je répétais tout haut rapoulie,
rapoulie et tout à coup mon regard et mon attention furent attirés
par de drôles de bruits qui venaient du fond de la cour, là-bas où
il y avait un grillage.
Qu'est-ce donc qui fait un tel bruit? Joseph s'était accroupi et
jouait avec des petits cailloux, donc, je le laisse et me dirige en
direction des bruits. Je m'approche doucement, un grand grillage
formait une barrière, donc je ne dois pas avoir peur me disais-je.
En m'approchant de très près je vois de gros oiseaux, des blancs,
d'autres de couleur marron avec des griffes, bizarres ces oiseaux et
ils poussent de drôles de cris, et un autre en sortant d'une cabane
se mit à battre des ailes et à pousser un cri très fort. Comme je
suis très curieuse je me demande pourquoi ils sont enfermés, ils
seraient mieux à voler avec les autres oiseaux. Je regarde un peu
plus près, il y a une porte dans le grillage, alors il suffit de
l'ouvrir. Zut c'est trop haut pour attraper la poignée.
Je sursaute car Guitte était près de moi, je ne l'avais pas entendue
arriver. « Ce sont des poules et un coq, c'est le chef de la
basse-cour que tu vois, est-ce que tu en as déjà vu ? » «Non» fut ma
réponse, des poules ! Mais pourquoi les avoir enfermées, elles
devraient voler comme les autres oiseaux! Guitte m'explique que ce
ne sont pas des oiseaux, qu'elles pondent des œufs que nous mangeons
et qu'au fond de la cour il y a des oies avec leur chef un jars et,
toujours sous les recommandations de Guitte, «ne rentre pas dans cet
enclos car il est très méchant. » Au milieu de l'enclos il y a une
petite porte où vit un cochon, lui aussi est méchant et, Guitte
insiste encore pour que je ne franchisse pas la porte.
Et me voilà repartie dans mes pensées des animaux étranges, des
oiseaux poules qui pondent des œufs. J'ignore ce que c'est, mais un
jour je connaîtrai. Des oies avec un chef méchant et un cochon
méchant dans une cabane, ça, je n'avais jamais vu. Pourquoi Guitte
a-t-elle des animaux comme cela et le cochon comment est-il? Je ne
le voyais pas mais il devait être gros car il faisait beaucoup de
bruit en grognant. À mon avis il devait avoir envie de sortir lui
aussi, être enfermé c'est terrible, vive la liberté! Guitte me
laissa à ma contemplation. Je jette un coup d'œil à Joseph qui joue
toujours assis au sol et que vois-je? Un petit bâtiment qui était
accolé à la maison que je n'avais pas encore vu. Il y avait des
escaliers en pierre et une porte à mi-hauteur et une autre en haut
de l'escalier, ce qui m'attire le plus c'est ce petit bâtiment avec
sa facette de petits carreaux dans lequel le soleil brillait, en
dessous une autre porte ouverte, mais celle-ci avait une grosse
chaîne, pourquoi la chaîne sortait elle de ce petit abri, allons
voir. Je m'approche doucement, je la ramasse mais elle est attachée
à quelque chose qui est dans la petite cabane de pierre.
Je m'avance quand soudain un chien surgit devant moi. Je suis
stoppée et surprise, mais aussi pas très rassurée. Je lâche d'un
coup la chaîne, et le chien sort et s'avance vers moi tout en
remuant la queue. Il se met à me lécher les mains, j'espère qu'il ne
va pas me mordre, mais je ne bouge pas, je verrai bien.
Il a de grands yeux et n'a pas l'air méchant, je risque une caresse
sur sa tête. Que c'est doux, lui dis-je: « gentil le chien, gentil.
» Il a l'air content que je lui parle et il remue sa queue de plus
en plus, et ne cesse de me lécher très fortement les mains.
Voilà un animal doux, mais il est attaché avec une grosse chaîne,
cela doit être bien lourd pour son cou. Je regarde cela de plus
près, mais c'est difficile, ses grands poils me gênent et il
n'arrête pas de bouger. Je lui dis « écoute, arrête de bouger comme
ça, je n'y vois rien. » Je sens quelque chose de dur autour de son
cou, c'est son collier qui est tenu par la chaîne. Il faudrait que
je puisse le lui enlever, mais comment une petite fille comme moi
peut-elle le faire? J'ai bien trouvé l'attache mais comment l'ouvrir
et le collier comment faire pour le détacher?
J'examine bien mais ses poils sont longs et mes mains trop petites
et pas assez fortes.
J'étais tellement occupée que je n'avais pas entendu Mauricette qui
était derrière moi. Je sursaute de surprise et je lui fais face en
la regardant. Aussitôt je serre les poings pour me défendre au cas
où.
«Je vois que tu as fait connaissance avec le chien de chasse me dit
Mauricette, il s'appelle «Youki» et il faut le laisser attaché sinon
il se sauve.» Cela me fut dit sans hausser la voix ce qui me fit
desserrer les poings, c'est bon, pas d'attaque en vue. Elle continue
son chemin en se dirigeant sur le côté où il y a les escaliers de
pierre. Je décide de la suivre, mais de loin pour ne pas qu'elle
s'aperçoive de ma présence. Elle ouvre une barrière et pénètre dans
ce que je devine être un jardin. Je m'avance et à mon tour je
franchis la barrière, c'est un très grand jardin entouré de murs
très hauts en pierre avec des allées de légumes. Mon regard s'arrête
sur le bord d'une allée, c'est la cabane de bois que Guitte m'a
montrée hier et qui leur sert de toilettes. C'est bien moche. Ce
sont des planches avec des tôles dessus. C'est vraiment pas beau, je
me demande si tout le monde dans ce village a les mêmes.
J'arrête là mon inspiration car Mauricette revient en tenant quelque
chose de vert dans une main. Je sors bien vite du jardin et
j'entends dans mon dos que Mauricette referme la petite barrière de
bois. Je me presse de retourner vers le grillage où il y a les
poules mais en passant Youki tirait sur sa chaîne et aboyait tout en
remuant la queue. Lui aussi aimerait certainement être libre, il
faudra que je regarde mieux comment faire pour le libérer.
« Tu viens avec moi» me dit Mauricette, c'est l'heure de manger. Je
lui réponds déjà, je n'ai pas faim, je veux rester là à regarder. «
Faim ou pas faim, me dit-elle, tu viens à table avec ton frère, tu
pourras revenir après la sieste.» Ici aussi il faut faire la sieste,
je ne veux pas dormir, d'ailleurs je ne suis pas fatiguée et je suis
grande. « Écoute, me dit Mauricette, tu es peut-être grande mais la
sieste est nécessaire pour grandir.» Elle me prend par la main et me
ramène à la maison. En entrant dans la cuisine, je vois Joseph qui
est déjà installé, mais je suis très surprise de voir qu'il y a
d'autres hommes dans la maison.
Mauricette me fait laver les mains et m'installe sur ma chaise avec
toujours mon petit coussin, mais pendant ce temps je regardais ces
hommes. Que faisaient-ils ici? À peine avais-je pensé cela que
Guitte donnait la réponse à ma pensée, Bernard que vous avez vu hier
et l'autre monsieur près de moi c'est Marcel mon fils et Daniel.
Allez tout le monde à table. Guitte s'empare d'un grand plat. Les
hommes mangeaient et buvaient bruyamment, tout en parlant assez
fort, enfin, pour mes oreilles. J'étais assise à côté de Guitte et
Mauricette vers Joseph pour l'aider à manger.
J'ignore ce que nous avons mangé, ni même si j'ai mangé, car j'étais
en contemplation de tous ces gens qui mangeaient et buvaient,
faisaient du bruit avec les couverts et avaient des conversations
avec des drôles de mots, comme Guitte et Mauricette. Je n'avais
jamais entendu de tels mots. Enfin, passons, mais j'étais intriguée
par tout ce monde qui habitait ici, dans cette maison, ils ont l'air
très gentils, mais méfiance quand même.
Le repas terminé, Guitte et Mauricette ne cessaient de se déplacer
pour enlever et déposer les plats, les assiettes, les couverts sur
l'évier.
Les hommes se sont levés, Marcel est allé dehors et Bernard s'est
assis devant la table ronde pour lire son journal. Guitte descend
Joseph de sa chaise et lui enlève sa serviette de table et lui dit
d'aller jouer un peu dehors avec moi et qu'ensuite nous ferons la
sieste.
Je saute rapidement de la chaise, je cours dehors rejoindre mon
petit frère et je lui dis « viens avec moi, je vais te montrer ce
que j'ai découvert. » Je le prends par la main et nous nous
dirigeons vers les poules. Nous nous agrippons au grillage, les yeux
de Joseph s'arrondissaient et il a eu un mouvement de recul en
voyant les poules qui dépliaient leurs ailes en faisant du bruit.
Je lui explique que ce sont des poules et le chef c'est celui qui
est plus gros et qui s'appelle coq. «Tu verras quand il chante, il
tend la tête et pousse un cri, c'est très rigolo. Au fond de
l'enclos ce qui est plus gros que les poules ce sont des oies. Elles
aussi ont un chef qui se prénomme jars. Elles sont méchantes.»
Joseph était très étonné par tout cela et pas du tout rassuré car il
me tirait la main en arrière pour repartir. Je lui dis « n'aie pas
peur, tu vois bien qu'ils sont enfermés et la porte est accrochée..
Tu vois la petite cabane au fond d'où des grognements sortent et
bien c'est une bête qui s'appelle cochon, tu ne trouves pas que
c'est drôle tous ces animaux avec un chef Ils seraient mieux à
courir partout, tu ne crois pas? » Joseph ne semblait toujours pas
plus rassuré. Le tenant par la main je l'emmène voir Youki qui, lui,
avait rejoint sa cabane. Je fus obligée de laisser la main de Joseph
qui refusait d'aller plus loin.Mais auparavant je ramasse la grosse
chaîne au sol. « Tu vois, c'est un chien tout gentil et il aime être
caressé sur la tête et il bouge la queue tout le temps. »
Joseph me regarde faire. Tout en tenant la chaîne, je m'avance dans
son abri et Youki tout à sa joie de me voir, pose ses deux pattes
avant sur mon torse. J'en fus très surprise et moins rassurée que la
première fois. J'ai poussé un petit cri de surprise ce qui a fait
peur à Joseph. Il s'est sauvé tout droit vers la maison, et Youki
est retombé sur ses quatre pattes et entreprend encore de me lécher
les mains, alors je reprends les caresses sur sa tête toute douce. «
Tu es vraiment très doux toi le chien et je suis sûre que tu
préférerais courir en liberté que d'avoir cette grosse chaîne à ton
cou. » Youki s'échappe de mes mains et se met à courir en direction
du jardin. Je le regarde, étonnée, mais pourquoi s'en va-t-il ? Que
vois-je? Le fils Marcel sort du jardin et lui aussi caresse le chien
qui semble très heureux de le voir.
J'entends une voix qui prononce mon prénom, c'est Guitte qui
m'appelle pour la sieste. Oh non! Ce n'est pas déjà l'heure et puis
je n'ai pas envie de dormir je suis bien dehors à regarder toutes
ces nouvelles choses et ces nouveaux animaux. En passant près de moi
Marcel me dit : « je crois que l'on t'appelle», mais dans ma tête je
pense: « mais de quoi il s'occupe et de toute façon je n'ai pas
envie d'y aller, mais Guitte était déjà arrivée devant moi. Je suis
bien décidée à ne pas faire la sieste, je ne suis pas fatiguée, je
suis bien là et je veux y rester. »
Guitte commence à comprendre. « Je vois que tu as du caractère,
c'est bien, mais il faut que tu apprennes aussi à obéir. Tu vas
faire la sieste aujourd'hui car hier a été une journée mouvementée
pour vous. » Elle me prend par la main et m'emmène dans la maison et
en passant devant l'abri de bois, me dit de faire pipi comme hier.
J'ai eu un instant d'hésitation. Je regarde la porte d'entrée de la
maison pour voir si quelqu'un n'allait pas me voir. Peut-être
devinant mes pensées, Guitte me dit « ne t'inquiète pas, les hommes
sont repartis travailler, tu peux être tranquille et je ne te
regarde pas. » Je retrouve mon petit coin d'hier et je me soulage.
Je reviens vers la maison où Mauricette me surveillait sur le pas de
la porte et voilà on recommence le lavage des mains.
Joseph et moi allons au lit. Dans la chambre les volets étaient
fermés et le soleil passait en faisant des ombres dans la chambre.
Joseph était certainement bien fatigué car après l'avoir appelé
trois fois, aucune réponse. J'étais assise sur le lit et je n'avais
pas sommeil. Elles m'embêtent de vouloir absolument me faire dormir,
c'est comme au dépôt. En prononçant ce mot les larmes montent à mes
yeux. Mais au fait que font Denise et René ils ne sont pas encore
venus nous rejoindre. Je suis en larmes. La porte est entrouverte,
je pense que c'est pour que Guitte puisse nous entendre. En effet,
elle entend mes pleurs, je la vois dans la porte et elle vient
s'asseoir sur mon lit tout près de moi et me demande ce qui ne va
pas:
- Je veux voir ma sœur Denise et mon petit frère qui étaient au
dépôt avec nous et la sorcière les a fait disparaître, je veux les
voir. Tout ceci dit entre les hoquets de chagrin.
- Je ne savais pas que tu as un autre frère et une sœur, tu es sûre?
En me disant cela elle me tapotait les mains.
- Si, si, j'ai Denise et René bébé. Il faut demander à la sorcière
du dépôt.
- Je vais en parler la prochaine fois que j'irai.
- Non tout de suite, je les veux, ils me manquent et mes parents
aussi. Pourquoi ils ne viennent pas?
- Il faut te calmer sinon tu vas réveiller ton petit frère. Allez
lève-toi car je vois que tu ne dormiras pas. Pour aujourd'hui pas de
sieste pour toi, c'est vrai que tu es un peu grande, enfin, nous
verrons demain.
Et hop ! me voilà descendue du lit. Guitte avait sorti un mouchoir
de son tablier et m'essuyait les yeux. Nous retournons dans la
cuisine où Mauricette terminait de ranger la vaisselle.
- Tu ne dors pas!
- Non aujourd'hui on fait comme cela.
Après avoir remis ma robe Guitte me peigna. Je m'apprêtais à aller
dehors quand Guitte m'interdit de retourner voir les animaux. Elle
voulait que je reste jouer dans la cour près d'elles. Pour quelle
raison je ne dois pas y aller?
Ça tombe bien, d'un seul coup je me sentais mal, triste et en
attente de quelqu'un, de quelque chose. Je m'assois sur les marches,
les coudes sur les genoux repliés et ma tête dans les mains. Je
repensais à tout ce qui avait bousculé nos vies. Je n'avais plus
envie de rien, que c'est long le temps quand on attend et espère et
que rien n'arrive.
Un frôlement doux contre ma jambe me tira de mes pensées. C'est un
chat qui se frotte contre moi. Je le caresse en lui disant minet
d'où viens-tu? je ne t'ai pas vu ce matin, ni hier. Je continuais à
le caresser quand Guitte me voyant faire ces gestes sur le chat me
dit: c'est un de nos chats, c'est Minette c'est une chatte qui est
très docile, les autres sont un peu plus sauvages et ils griffent.
Il faudra faire très attention quand tu les rencontreras et que tu
voudras les caresser.
Puis soudain, la chatte se sauve du côté de la cour où sont les
poules. Je décide de la suivre, là-bas c'est plus rigolo mais il
faudrait que je détache Youki et ouvre la porte aux poules. La
liberté c'est mieux pour pouvoir gambader là où on en a envie sans
avoir de barrière.
Je me dirige vers Youki qui est tout joyeux de me retrouver. Je le
prends par le cou et je recherche son collier, mais arrête de
bouger, je ne vais pas arriver à te détacher. Enfin, voyons comment
je peux faire pour le libérer, nous pourrions courir ensemble après,
ça y est je vois comment il faut faire. Je passe la lanière dans
l'anneau et je sors le petit ressort. Que c'est dur! je n'ai pas
beaucoup de force et il remue toujours autant. Après plusieurs
efforts, victoire, j'y suis arrivée et Youki s'échappe de mes mains
sans m'attendre. Je l'appelle, il revient vers moi, nous jouons tous
les deux à nous rouler dans l'herbe. Il me paraît tout joyeux d'être
libre, mais tout à coup il se dirige dans le jardin. La petite
barrière était restée ouverte, et je l'appelle une fois, deux fois,
mais il ne m'écoute pas. Il part à toute vitesse dans le jardin. Je
le regarde et rigole de le voir gambader c'est vraiment marrant. Il
saute partout sans prendre les allées. Je vais le suivre, mais
arrivée dans un carré où il y avait des plantations une voix appela
Youki très fort pour qu'il se calme. C'était Guitte, qui était
arrivée vers nous. Je la vois énervée ou agacée qui rappelait le
chien.
Je m'adresse à Guitte, « mais pourquoi! il est heureux de gambader,
il en a assez d'être attaché. »
Guitte m'explique qu'il va abîmer le jardin et que Bernard va
rouspéter si les légumes sont abîmés. « C'est un chien de chasse, il
faut le laisser attaché et tu sais il peut me tuer des poules»
Je suis bien déçue, pauvre chien il a été très heureux de gambader
quelques instants n'importe où, et tuer des poules mais comment
peut-il faire, il y a le grillage qui sépare?
Guitte toujours agacée me fait sortir du jardin et referme la porte,
restant avec le chien qui court toujours de plates-bandes en
plates-bandes. Elle crie encore une fois en appelant Youki d'un ton
ferme et là, il revient vers elle en s'aplatissant au sol. Elle le
prend par la peau du cou puis ouvre la barrière et s'avance vers sa
chaîne au bout de laquelle le collier était resté. Lui remet son
collier, voilà lui dit-elle tu es encore prisonnier, je n'ose rien
dire, je vois que Guitte est très contrariée et énervée. Va-t-elle
me gronder, me donner une fessée, me punir, instinctivement comme
toujours quand j'ai peur je resserre mes poings.
Le chien rattaché Guitte s'avance vers moi, « tu vas le laisser
attaché car s'il se sauve du côté de la ruelle il peut aller sur la
route et se faire écraser, c'est ce que tu veux? »
Non, je ne voulais pas que ce gentil chien meure. Toute penaude
Guitte me laisse là et s'en retourne à la maison. Je suis
décontenancée. Je m'étais préparée à une fessée, ou une punition
mais rien. Ouf! je peux me détendre. Elle n'est pas méchante après
tout.
Mais ce chien attaché, des animaux enfermés, ça ne me plaît pas du
tout. Si j'ouvre la porte aux poules, elles ne vont pas aller sur la
route, elles vont aller sur la belle herbe qu'il y a là. Il faut que
je laisse la barrière du jardin fermée pour les légumes, ça j'ai
bien compris, mais il faut que je regarde comment ouvrir cette porte
de grillage.
Tiens, Mauricette m'appelle, qu'est-ce qu'il y a encore? Cette fois
c'est certainement la punition qui va tomber, je m'approche
lentement dans la cuisine, pas très fière et Mauricette me dit que
mon petit frère est réveillé, qu'il faut que je me lave les mains,
que nous allons goûter. Pas de punition en vue, je peux être
rassurée. Le goûter terminé nous retournons jouer dehors devant la
porte cette fois. Je ne retourne pas dans le fond de la cour, ce
sera pour demain.
Les journées passent toujours au même rythme, lever, petit-déjeuner,
toilette, jeux, repas à midi, sieste de temps en temps pour moi,
puis à nouveau toilette, dîner et coucher.
Arrive le dimanche, là c'est une journée spéciale qui comme la
première fois m'a perturbée. Au lever, au sol il y avait un grand
baquet dans la cuisine et deux ou trois bouilloires sur la
cuisinière. Je trouve cela suspect. Après le petit déjeuner,
Mauricette nous explique que nous allons faire la grande toilette.
Vous monterez dans le baquet tous les deux et je vous laverai ainsi
que les cheveux. Alors là, c'est complet, elle veut nous laver tous
les deux là-dedans, ça je n'ai jamais vu une telle façon de faire sa
toilette. Et, tout à coup je m'aperçois que les hommes sont restés
là donc, ils vont nous regarder. Ils ne travaillent donc pas
aujourd'hui ? Et voilà Mauricette remplit le baquet d'eau froide et
d'eau chaude, elle tapote l'eau comme elle l'avait déjà fait dans la
cuvette. « Les enfants, l'eau est à bonne température, quittez votre
pyjama et montez dans le baquet. » Je décide de ne pas bouger de ma
place. Mauricette aide Joseph à descendre de sa chaise et le
déshabille, le met dans le baquet et comme toujours Joseph tout
docile se laisse faire sans rien dire. Il est vraiment mignon mon
petit frère. Le voilà assis dans l'eau, on ne lui voit plus que la
tête, il remue les bras et s'amuse avec l'eau. Mauricette me répète
d'enlever mon pyjama et de monter dans le baquet.
Je lui réponds
- non, d'abord je préfère la douche et me laver seule.
- tu sais bien qu'ici il n'en a pas on te l'a déjà expliqué.
En disant cela elle s'avance vers moi et fait mine de vouloir me
déshabiller, aussi promptement je recule.
À ce même moment Guitte arrive et elle comprend de suite le problème
de mon refus et me dit, si tu veux c'est moi qui vais te laver.
- Non, toute seule, et pas devant tout le monde.
- Si ça peut te rassurer, les hommes sont partis aux bois et ne
reviennent que pour le repas et tu sais le dimanche c'est la grande
toilette pour tout le monde.
- Lentement je me mets à quitter mes vêtements et une fois nue
Guitte me tient la main pour enjamber le baquet et plouf un pied
puis l'autre et je m'assois à côté de Joseph.
Mauricette quitte la pièce en direction des chambres et Guitte prend
le gant de toilette et savonne mon petit frère et entreprend de
laver ses cheveux tout frisés, puis le fait lever pour le laver
entièrement. Elle verse un seau d'eau tiède qui était déjà préparé
sur la tête de Joseph, qui lui cette fois pousse des petits cris de
protestation. Il n'a pas l'air d'apprécier, elle le sort du baquet
et l'enroule dans une grande serviette, l'habille et le coiffe,
voilà dit-elle te voilà tout rapouli et en entendant ce mot rigolo
que j'avais déjà entendu quelquefois, je le répète en chantonnant,
rapoulie, rapoulie, et Guitte me dit « ce mot t'amuse? » et me
demande si je sais ce que cela veut dire.
Bien sûr que non je ne le connaissais pas mais c'était marrant.
Et Guitte me répond, cela veut dire que tu es toute propre et bien
peignée. Que tes cheveux sont lisses et non frisés.
Ayant terminé avec Joseph, Guitte veut s'occuper de moi, mais
entretemps j'avais attrapé le gant et je m'étais lavée toute seule
et j'avais même lavé mon « pipi» et surtout je ne veux pas qu'elle
me le fasse. Je vois que tu t'es lavée me dit Guitte, maintenant je
vais te laver les cheveux et le dos. Elle joint le geste à la
parole. ElIe me savonne le dos, frotte mes cheveux, les fait
mousser, je lui dis que ça pique mes yeux. « eh bien ferme-les très
fort, » me réplique-t-elle. Puis comme Joseph elle me rince avec le
second seau d'eau tiède. Ouf! voilà je me frotte les yeux et je peux
les ouvrir. C'est terminé, elle m'enveloppe dans une serviette, me
frictionne. Je demande si je peux m'habiller seule et elle me répond
par une réponse positive.
Pendant ce temps Mauricette est revenue dans la cuisine, elle aide
Guitte à porter le baquet dehors et le vider. Elle passe la
serpillère car nous avions mis un peu d'eau par terre. Guitte me
coiffe, et d'une voix gaie et souriante me dit voilà tu es aussi
toute rapoulie.
Je pense que tous les dimanches ce sera la même chose. Comment font
les adultes de cette maison pour se laver dans le baquet? Ils ne
peuvent pas rentrer dans celui-ci, il est beaucoup trop petit pour
eux. Ce doit être rigolo de les voir dans un baquet et je me mets à
rire toute seule en les imaginant tous barbotant dedans.
Je me suis assise sur les marches de dehors à côté de Joseph qui,
lui jouait avec Minette qui ronronnait de plaisir d'être caressée.
Je joins mes caresses à celles de mon frère.
Tout à coup je décide d'aller au fond de la cour. Je me lève et
demande à Joseph s'il veut venir avec moi. Je le prends par la main,
mais du fond de la cuisine une voix nous dit de rester là car nous
allions nous salir, et c'était Mauricette qui voulait que l'on reste
jouer devant la porte.
Zut, ce n'est pas drôle, jouer à quoi, avec les cailloux, mais on va
se salir aussi et Guitte s'approche de nous et nous donne à chacun
une paire de ciseaux et des revues pour que l'on fasse des
découpages. Nous avions le droit de découper tout ce que l'on
voulait.
Assis tous les deux sur les marches au soleil nous entreprenons les
découpages. Joseph avait du mal, il était un peu maladroit. Les
découpages ce n'est pas mal mais je préfère aller voir Youki, les
poules et les oies et leurs chefs, c'est bien plus marrant. De temps
en temps je jette un coup d'œil dans la cuisine mais il y a toujours
quelqu'un, alors pas facile de me sauver là-bas.
L'heure du repas arrive et les hommes sont revenus tout sales, tout
mouillés de sueur. Ils ont rapporté du bois, le même que celui qui
est sous les hangars pour mettre dans la cuisinière. Guitte emmène
Joseph faire la sieste. Toi Colette, tu ne feras pas la sieste
puisque tu commences à être grande. Un grand sourire me vient aux
lèvres et je dis en la regardant, bien sûr que je suis grande. Quand
Joseph faisait la sieste Guitte et Mauricette tenaient à ce que je
reste jouer à faire le découpage ou le coloriage devant la porte ou
dans la cuisine. Cela ne fait rien, elles ne veulent pas que j'aille
voir les animaux, mais j'irai avec Joseph quand il sera réveillé.
Les jours passent, les nuits et les soirs dans mon lit il m'arrivait
encore et même souvent de pleurer et de réclamer ma famille et ma
sœur qui n'était toujours pas avec nous. Quand je pleurais dans mon
lit le lendemain je n'étais pas bien, je n'avais envie de rien,
triste, je ne parlais pas. Les autres matins je ne parlais pas
beaucoup mais là c'était le mutisme complet.
Guitte et Mauricette avaient remarqué que quelque chose n'allait
pas, mais quoi. Je ne répondais pas à leurs questions alors il leur
était bien difficile de savoir pourquoi j'étais triste et j'avais
les larmes au bord des yeux.
Dans la matinée, quand je ne joue pas je reste là, assise les jambes
repliées et les coudes sur les genoux et.ma tête dans les mains. Je
me lève et je vais retrouver Guitte dans la cuisine, je tire sur son
tablier et je lui dis, non, plutôt je crie que je veux ma sœur
Denise et mon autre petit frère. Je les veux, je m'ennuie d'eux.
Guitte était toute décontenancée par cet assaut et ces cris. Elle
oublie pendant quelques instants ses occupations et me prend les
mains et me dit: « Je t’ai déjà expliqué que je vais en parler au
dépôt lorsque j'irai. Calme-toi, et es-tu sûre d'avoir une sœur et
un autre frère? car à moi on ne m’a rien dit. » De plus en plus
énervée et aussi désemparée, je crie toujours et je lui réponds
qu'il y a Denise et René mais que la sorcière les a gardés.
- mais de quelle sorcière me parles-tu ?
- c'est elle qui nous a enlevés à notre famille et à notre maison.
Elle est méchante, et en plus, elle a fait disparaître Denise et
René. C'est une sorcière et ce fut dit avec beaucoup de rancœur, de
rage mais aussi de chagrin et de larmes.
- Écoute bien ce que je vais te dire. D'abord la dame que tu
appelles la sorcière c'est mademoiselle Gence, c'est elle qui
s'occupe d'aller chercher les enfants dans les familles, quand
quelquefois il y a des problèmes et ensuite elle les redonne aux
parents quand tout va mieux. Quant à ta sœur et ton petit frère,
elle a dû les mettre dans une autre famille je pense.
- Non, ce n'est pas possible, Denise n'est pas dans une autre
famille. Morine m'a dit qu'elle était malade et que le médecin
allait la soigner et ensuite qu'elle viendrait nous rejoindre, mais
il y a longtemps qu'elle est malade et elle ne revient pas. Et mon
petit frère est un bébé, je lui raconte tout cela en serrant les
poings et avec colère. Guitte essayait de me calmer, mais j'aurais
aimé me blottir dans ses bras, mais ce n'était pas ma maman ni ma
grand-mère et les larmes redoublaient d'intensité et de chagrin.
Elle prend son mouchoir de la poche de son tablier et essuie mes
yeux. Calme-toi, arrête de pleurer, tiens est-ce que tu veux un cran
de chocolat?
- Non, je n'en ai pas envie, et je sors m'asseoir sur les marches
avec mon chagrin et mes questions qui tournaient dans ma tête
inlassablement dans tous les sens.
Cet état de mal-être pouvait durer deux ou trois jours où je n'avais
envie de rien, où mes nuits étaient agitées. Je regardais le monde
autour de moi avec beaucoup de détachement. A ces moments-là je me
sentais comme spectatrice et dans un état de solitude, de détresse
et ceci allait durer des années. Je vous en reparlerai plus loin.
Depuis quelques jours je vivais ici et je n'avais pas remarqué un
autre petit recoin de la maison avec un petit abri en pierre
attenant à la maison avec une toute petite porte. Un soir où
j'accompagnais Guitte qui allait donner à manger aux lapins dans les
cages, eux aussi étaient enfermés et aussi le cochon. Là elle ouvre
cette petite porte, baisse la tête pour pouvoir entrer car la porte
n'est pas très haute et je la suis. Il fait très noir en entrant. La
lumière ne rentre que par la porte. Je sens quelque chose se frotter
contre mes jambes, très surprise, je recule un peu avant de
m'apercevoir que c'est un chien plus petit que youki. Je me baisse
pour le caresser il est tout doux. Tiens il est attaché aussi.
Guitte me dit que c'est une chienne de chasse et elle s'appelle
Ravaude. Elle a' été malade, mais à présent elle est guérie et va
pouvoir sortir. Cette petite chienne est encore plus douce et plus
jolie que Youki et Ravaude dans son petit abri allait devenir très
importante dans la tristesse de ma jeune vie.
Nous y reviendrons.
Je vous ai dit que lorsque je suis arrivée dans cette famille, qu'il
n'y avait pas de robinet d'eau sur l'évier, pas de wc à l'intérieur
de la maison, pas de douche et j'ai omis de vous dire qu'il n'y
avait pas de télé. Il y en avait une chez mes grands-parents et au
dépôt. Au début quand je suis arrivée dans cette famille je
demandais souvent de pouvoir regarder la télé. Tout le monde
semblait très étonné que je réclame cela. À l'époque je crois qu'il
y en avait une seule au village dans une grande ferme.
Un après-midi Mauricette me dit demain tu iras à l'école. Mais
qu'est-ce que c'est? Je n'avais jamais entendu parler de ce mot. Je
demande à Mauricette s'il faut encore partir ailleurs et c'est quoi
et c'est où. Elle me répond que ce n'est pas loin et que c'est un
endroit où l'on apprend beaucoup de choses, lire, écrire, compter et
qu'il y a d'autres enfants et que de temps en temps on joue tous
ensemble et que c'est un petit voisin qui m'emmènera. Et comme à
chaque chose nouvelle, j'étais inquiète. Encore un nouvel endroit,
d'autres gens. Depuis mon arrivée environ une à deux semaines avant,
je n'avais jamais quitté cette maison et la cour. Je vois de temps
en temps un monsieur qui apporte des lettres, on m'explique que
c'est un facteur. De temps en temps aussi il y a un petit camion qui
vient une à deux fois par semaine dans la ruelle et que ce marchand
vend de tout. Ce camion m'attire beaucoup car je suis très curieuse,
à part cela je ne rencontre pas d'autre personne ni d'enfant. Alors,
aller à l'école, c'est encore nouveau.
Colette DECOUFLET-DEFAIX- Texte extrait de l’ouvrage COMME UNE TACHE
La Compagnie Littéraire (A compte d'auteur) – Paru en septembre 2007
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